L'entreprise familiale, fondée au XVIIe siècle par des négociants en laine, est la star des portos, notamment de ceux qui sont mis en bouteille jeunes.
Il y a deux grandes familles de portos. Ceux dont on a assuré une longue éducation, très surveillée, en fûts. Et ceux que l'on a orientés vers la bouteille à peine sevrés. Les premiers, les tawnies, sont chouchoutés, dorlotés pendant dix, vingt, trente ou quarante ans dans les pipas, les tonneaux oblongs spécifiques de Porto. Ils ne sont pas millésimés et développent des arômes liés à cette longue oxydation ménagée : orange confite, épices, noix. Les seconds, les vintages, réalisés seulement certaines grandes années, sont mis en bouteille jeunes (deux ans), emprisonnent le fruit et évoluent très lentement en restituant des senteurs très variées : menthe, moka, cerise, café, etc.
Les flancs escarpés de la vallée du Douro
Depuis quelques années, la mode des vintages a dépassé le cercle restreint des amateurs anglais chez qui, autrefois sans doute plus qu'aujourd'hui, le porto fut un véritable objet de culte. Certaines maisons exportent des bouteilles magnifiques que l'on trouve chez les cavistes en France, malgré notre fâcheuse habitude de consommer des produits bas de gamme à l'apéritif. Le vrai vintage se boit, lui, à la fin du repas, sur les fromages persillés et sur les desserts au chocolat. Ou seul : sa richesse aromatique se suffit. Historiquement, la marque la plus vénérée dans cette discipline, la star des ventes aux enchères, s'appelle Taylor's. Entreprise (toujours) familiale fondée au XVIIe siècle par des négociants en laine, elle a très vite évolué vers le vin de Porto et notamment les vintages.
La production du porto ressemble quelque peu, par son organisation, à celle du champagne. D'un côté des producteurs de raisins, de l'autre des grandes marques qui transforment le vin et le commercialisent. Il suffit d'examiner une carte pour en comprendre la raison. Le vignoble se situe sur les deux flancs escarpés de la vallée du Douro, autrefois à des heures de bateau de Porto, le lieu de commercialisation. Les maisons se sont concentrées à Vila Nova de Gaia, une colline de murs, de ruelles et de caves, séparée de la ville de Porto par le Douro et un pont signé Eiffel. En amont, les paysans cultivaient les vignes sur d'étroites terrasses creusées dans les schistes. À Vila Nova, les marchands assemblaient, sélectionnaient. Un tiers de la production de Taylor's provient de ses propres vignes et tous ses vintages sont originaires de la quinta de Terra Feita, près de Pinhão, de la quinta de Vargellas, située dans le haut Douro, ou encore de São Xisto (ce qui signifie schiste) et Junco, deux quintas rachetées plus récemment et qu'il a fallu restructurer.
Faire circuler la bouteille par le côté gauche
Il nous a été offert par deux fois de remonter le temps chez Taylor's. La première jusqu'au mythique millésime 1945. Une soutane plus qu'une robe tant elle est noire. Un nez puissant, complexe, où se mêlent moka, menthe, cerise, mandarine, encore très frais. Une merveille d'élégance et d'équilibre en bouche : vivacité, sucrosité discrète et tanins fondus, multiplicité de saveurs qui se prolongent tard dans la bouche. La seconde occasion fut encore plus mémorable. C'était en novembre 2007. Dans le but d'éditer un livre mémoriel retraçant l'histoire de leur maison au travers des plus grands millésimes conservés dans leur cave, les propriétaires de Taylor's avaient convié une dizaine de journalistes et dégustateurs de plusieurs pays. Nous représentions la France, pas question donc de se défiler, même si le lieu choisi n'était pas vraiment à la gloire de notre patrie : la Factory House, maison des Importateurs anglais, à Porto, tout près des quais, est un repaire de souvenirs britanniques où la francophilie est assez peu admise... Cette fois-là, la recherche du temps perdu nous a fait voyager jusqu'au millésime 1900... Ah ! le 1900 de Taylor's, quelle merveille ! Couleur assez soutenue, nez de cire et de fruits confits et une bouche veloutée, tendre, avec des notes de confiserie et de caramel, et même une touche fraîche de cerise. L'alcool est présent, mais sans dureté, l'ensemble est très enveloppé, avec une belle finale qui évoque les pâtes de fruits, mais sans le côté lourd du sucre. Un vin de 107 ans et en parfaite santé, avec du mordant et une vraie présence aromatique.
Les plus remarquables années sont 1924, 1945, 1970, 1985, 1997, 2000, 2003, 2004. Pour les suivantes, il faudra attendre que le temps fasse son usage. On doit servir les vintages de Taylor's à trois ou quatre degrés de moins que la température ambiante, décanter lentement dans une carafe très évasée. Le dépôt est toujours abondant (et délicieux dans une sauce). La règle anglaise veut que le maître de maison se serve en premier et fasse circuler la bouteille toujours par le côté gauche, celui du coeur. On raconte aussi, mais pas devant les Français, que cette tradition remonte à l'amiral Nelson, le vainqueur de Trafalgar, qui avait perdu son bras droit au cours d'une précédente bataille...
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